Le RP

Or donc, tandis que Nimdhy était enfermée en sa sombre prison, méditant à sa situation, un pressentiment affreux lui vint. Sans doute ne sortirait-elle jamais d'ici... Après la terreur, les larmes et les regrets, une espérance lui restait. Tôt ou tard, Mim passerait en ces lieux. Peut-être ne serait-elle plus, mais qu'à cela ne tienne, elle comptait bien lui laisser un message ! Le mur étant partiellement âbimé par l'usure du temps et des mains des prisonniers, elle s'empara d'un petit caillou et commença ce qu'elles pensaient être son dernier ouvrage, une légende qu'elle avait en tête depuis toujours mais n'avait jamais pris le temps d'écrire :

A une époque très éloignée, un voyageur s’enfonçait dans une forêt dense et luxuriante. Vêtu d’une longue cape sombre, il s’avançait dans la nuit noire, parcourant un petit sentier, unique chemin vers une contrée oubliée. Par moments, le tracé s’effaçait sous les assauts sylvestres, et seule l’intuition le guidait alors. Il finit par arriver dans une petite clairière illuminée par les étoiles. Levant les bras au ciel, l’étranger se mit à psalmodier une mélopée étrange. La lumière s’intensifia. Des buissons se déplacèrent, dévoilant une paroi aux multiples grottes. S’approchant, il en suivit de ses doigts la surface jusqu’à trouver quelques pierres éparses formant comme un escalier.


Mais il n’eut pas à l’escalader, car quelqu’un surgit brusquement à ses côtés, lui agrippa le bras et disparut avec lui dans un craquement sonore… Que se passa-t-il ensuite ? L’histoire ne le dit pas. Elle ne reprend que sept mois plus tard, avec les vagissements d’un nouveau-né auquel on venait de couper le cordon ombilical…


Brutalement arraché à son cocon tout de bien-être, il criait sa rage et sa douleur lorsque des bras doux l’enveloppèrent et le ramenèrent contre ce ventre chaleureux d’où il venait de sortir. Le bébé se calma immédiatement et se mit à chanter, à la surprise de tous les présents. L’étonnement se mua en un saisissement de plus en plus profond à mesure que l’enfant avançait dans la mélodie. Ce chant, c’était comme s’il se répercutait dans chaque parcelle de leur corps ! Il ne ressemblait décidément à rien de ce qu’ils connaissaient ! Quoique ? A y réfléchir, il semblait tenir de l’eau que rien ne vient troubler, ou encore du zéphyr lorsqu’il salue les arbres…


Progressivement, la mélodie s’amenuisa jusqu’à s’interrompre complètement. La petite s’était endormie. Les gens, qui formaient un cercle autour de sa mère et elle, n’osaient plus bouger si ce n’est en échangeant quelques coups d’œil éberlués. Enfin, l’un d’eux se décida. D’apparence noble et fier d’allure, il s’agenouilla cependant et souleva délicatement la main de son épouse, qu’il recouvrit de baisers. Il glissa l’autre dans la longue chevelure auburn qui dressait un rempart autour de la pouponne et la déplaça légèrement. Sa joie était sans égale. Il contempla longuement l’être qui venait de conquérir la deuxième place dans son cœur. Au bout d’un moment qui sembla une éternité à plus d’un, il saisit la pouponne et la présenta à l’assemblée : « Voici ma fille, Nimdiriana èl Myndhiartè ». Il regarda brièvement sa femme, guettant son assentiment. « Je sais qu’il est d’usage pour l’aîné de prendre la succession du royaume. Mais cette fois, la princesse est aussi l’héritière de la Grande Prêtresse, et sa fonction se transmet de la même manière. C’est pourquoi Nimdiriana décidera elle-même de sa voie le jour de ses seize ans, à sa majorité ». Un sourire fleurissant sur les lèvres de sa bien-aimée, il termina : « J’ai dit ».


Le sourire devint crispation de souffrance. La reine s’affaissa, le visage blafard. Une grande tache pourpre s’étendait autour d’elle. Son époux se précipita à ses côtés. Elle se retourna avec peine et lui sourit tristement. Elle savait que son heure était venue. Et pourtant, cher lecteur, nulle n’était plus décédée suite à un accouchement depuis des siècles dans ce pays béni des dieux ! Il faut croire que le temps avait repris sa marche funeste…


Les gens se figèrent, horrifiés. Le roi semblait près de défaillir. Une suivante de la grande prêtresse, qui se trouvait être également sa meilleure amie, prit la situation en main. Elle vira de la pièce manu militari tous les importuns qui dans leur panique parurent presque soulagés qu’on leur dicte leur conduite. Mouderinnie, car tel était son nom, souleva délicatement la petite et s’apprêta à quitter la salle pour aller chercher le guérisseur tout en laissant un peu d’intimité au couple. La Dame l’interrompit d’un geste, résolue qu’elle était à mettre à profit chaque minute qui lui restait, tandis que le sang continuait de s’écouler. Mais cela lui prit plus de force qu’elle n’imaginait. A moitié évanouie, le teint couleur cendre, elle se força à garder les yeux ouverts le temps de transmettre tout ce qu’elle pouvait à ceux qu’elle chérissait. Mais elle était de plus en plus faible. Sa vie était sur le point de s’éteindre. Les mots se coincèrent dans sa gorge. Le roi se ressaisit. Lui tenant la main, il tenta de lui communiquer de sa force vitale. La lumière revint dans le regard de son Aimée. On pouvait lire dans ses pupilles l’immense amour qu’elle portait à chacun de ceux qui l’entouraient. Grâce au regain d’énergie, elle put poursuivre, plus sereinement ; la douleur s’était tue.


De ce qui se dit ensuite, rien ne fut dévoilé. Le secret des dernières paroles de la maîtresse du pays fut enfoui aussi profondément que sa tombe-même. Une chape de silence vînt à la recouvrir comme si jamais elle n’avait existé, les souvenirs s’estompant plus rapidement encore qu’une nuée d’été. La malédiction poursuivait son cours…

Les jours succédèrent aux heures, les années aux mois… Le caveau fut recouvert par l’herbe tendre, les bulles de pissenlit dispersaient allègrement leurs aigrettes au gré du vent… En apparence, rien n’avait changé. Le ciel conservait son aspect légèrement cotonneux, les montagnes s’interposaient toujours devant lui, comme par défi. La source elle aussi continuait à se faire véhicule d’une eau transparente, légèrement teintée de jade, qui achevait sa course parfois effrénée au fond d’un petit lac, en bordure du royaume.

Il n’en restait pas moins qu’un être d’une importance capitale avait disparu sans qu’il n’en restât plus de traces qu’un tombeau invisible et une fille dont chacun ou presque avait oublié la double origine. Et quand bien même ils auraient gardé souvenance de la fonction de la défunte, ils n’auraient pas soupçonné pour autant sa vraie nature…

Miraima était née dans un petit hameau, aux confins du pays. Elle avait été consacrée aussitôt à la divinité puisqu’ issue de la longue lignée de prêtresses qui veillaient depuis toujours sur le royaume, à en croire les habitants de la région. Ils n’en savaient guère plus si ce n’est que, vers la fin de sa vie, chacune revenait dans le village engendrer un nourrisson qui lui succèderait. Son enfant était rarement âgé de plus d’une demi dizaine d’années à la mort de sa mère, cependant l’usage voulait qu’on l’abandonnât dans la Caverne Sacrée, où il passerait sa vie à prier la Déesse. Ce fut également le sort de Miraima, à quelques nuances près. La prêtresse précédente avait disparu alors que son héritière n’était encore qu’un nouveau-né, de ce fait les paysans des alentours s’insurgèrent contre le sort. Ils refusèrent d’abandonner le bébé dans ce lieu où il risquait de perdre la vie. Ce ne serait bon pour personne, se justifiaient-ils, de perdre ainsi la dernière protectrice. Un couple prit soin d’elle jusqu’à ce qu’elle ait atteint l’âge traditionnel. Il était temps de la rendre à ce lieu qui serait sa vie. Toutefois les parents adoptifs s’étaient trop attachés et ils la cachèrent aux autres, prétextant qu’ils l’avaient déjà raccompagnée… Le lendemain, une dame extrêmement belle frappa à leur porte, leur enjoignant de lui rendre ce qui lui appartenait. Ils comprirent immédiatement qui elle était et se prosternèrent. Ils ne songèrent même pas à se défendre ou à tenter quoi que ce soit. Leurs yeux tournés vers le sol perçurent une grande lumière, avant d’être frappés de cécité.